dimanche 20 octobre 2013

R2- Morelle Duchamp (Elena)


Elena Valeriote                                    R2 – L’appartement
            Quotidiennement, beaucoup de personnes passent à travers la porte et encore plus de gens passent devant la porte mais plusieurs fois par semaine je m’arrête en face de la porte en bois pour l’observer. Je pense que l’art de créer une porte est sous-estimé. Les Français savaient comment faire une bonne porte mais maintenant, comme les Américains, ils les regardent seulement pour leur usage pratique. Avec les yeux fermés je peux dire qu’il y a une rayure de peinture écaillée dans le coin inférieur gauche. Comme c’était à la mode avant, c’est une porte cochère ; les colonnes blanches encadrent la porte bleu-vert foncée. A l’étroit entre deux commerces pour les touristes, l’un de souvenirs, l’autre d’accessoires, on ne remarque guère le numéro quarante encerclé en haut. Au-dessus des auvents fanées rouges et aigue-marine des commerces, l’immeuble est blanc sale. On voit cinq fenêtres longues et rectangulaires avec des volets et des petits balcons en fer forgé par étage.
            À l'intérieur, on peut prendre l’escalier en colimaçon ou l’ascenseur monte-charges mais j’habite au premier étage. La porte de mon appartement est très ordinaire mais la sonnerie émet un son charmant donc je ne me plains pas. Quand je suis venue à Paris, cet appartement était le seul disponible et je n’ai pas compris que le loyer (à 3230 euros) était cher ; j’ai signé la paperasse et maintenant je ne veux pas me déplacer. Heureusement, le gouvernement est généreux envers les orphelins et mes parents m’ont laissé un héritage considérable. Avec cinq pièces l’espace est trop grand pour moi sauf la cuisine qui est trop petite à mon avis. Un saladier pouvait à peine siéger sur le comptoir et une miche de pain gonflé rentre à peine à l'intérieur du four. Pourquoi avoir deux lavabos dans la salle de bains si une personne maigre ne peut pas se déplacer facilement dans la cuisine ?
Quelques fois, j’écoute une chanson de Fred Astaire et je prétends que je suis une grande danseuse de claquettes ; d’autre fois, je choisis « Non, je ne regrette rien »  d’Edith Pilaf et je valse autour de l’appartement – si j’ai un parquet boisé et de l’espace, pourquoi pas ? Cependant, je préfère écouter la musique de la rue. Je laisse les grandes fenêtres ouvertes tout le temps donc les murmures des gens qui passent, le va-et-vient des motocyclettes, les accordéonistes et les guitaristes qui jouent en soirée – ces sons flottent dans mon appartement et ils tombent doucement comme neige.
            La lumière naturelle coule à travers les fenêtres aussi. On ne peut pas trouver une horloge n’importe où – je connais l’heure habituellement par la couleur de la lumière. Le matin, les murs sont comme badigeonnés de beurre, un jaune pâle. À midi, j’habite dans une jonquille. Quand je commence à penser à dîner, les murs sont orange vif comme le jaune d'un œuf frais. À cause de la lumière merveilleusement envahissante, les fleurs de toutes sortes peuvent s'épanouir tout au long de mes pièces. Durant le printemps, les coquelicots se perchent joyeusement sur une corniche dans le salon, les bégonias se reposent à côté d’un panier de fruits dans la cuisine. De nuit, la fragrance du jardin pénètre mes rêves. 
Je vivrais en paix complète si ce n’était que mes deux cheminées qui se moquent de moi. Quelqu’un sera très content d’avoir une cheminée mais, pour moi, c'est un rappel de la raison pour laquelle je vis seule ici. La cheminée blanche et décorative se dresse avec suffisance dans le coin du salon tandis que la cheminée en bois laid est située dans la chambre pour me donner des cauchemars. J’ai amélioré ce problème en plaçant les plantes en pot à l'intérieur.

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