Elena Valeriote R2
– L’appartement
Quotidiennement, beaucoup
de personnes passent à travers la porte et encore plus de gens passent devant
la porte mais plusieurs fois par semaine je m’arrête en face de la porte en
bois pour l’observer. Je pense que l’art de créer une porte est sous-estimé.
Les Français savaient comment faire une bonne porte mais maintenant, comme les
Américains, ils les regardent seulement pour leur usage pratique. Avec les yeux
fermés je peux dire qu’il y a une rayure de peinture écaillée dans le coin
inférieur gauche. Comme c’était à la mode avant, c’est une porte cochère ;
les colonnes blanches encadrent la porte bleu-vert foncée. A l’étroit entre
deux commerces pour les touristes, l’un de souvenirs, l’autre d’accessoires, on
ne remarque guère le numéro quarante encerclé en haut. Au-dessus des auvents
fanées rouges et aigue-marine des commerces, l’immeuble est blanc sale. On voit
cinq fenêtres longues et rectangulaires avec des volets et des petits balcons en
fer forgé par étage.
À l'intérieur, on peut
prendre l’escalier en colimaçon ou l’ascenseur monte-charges mais j’habite au
premier étage. La porte de mon appartement est très ordinaire mais la sonnerie
émet un son charmant donc je ne me plains pas. Quand je suis venue à Paris, cet
appartement était le seul disponible et je n’ai pas compris que le loyer (à
3230 euros) était cher ; j’ai signé la paperasse et maintenant je ne veux
pas me déplacer. Heureusement, le gouvernement est généreux envers les
orphelins et mes parents m’ont laissé un héritage considérable. Avec cinq
pièces l’espace est trop grand pour moi sauf la cuisine qui est trop petite à
mon avis. Un saladier pouvait à peine siéger sur le comptoir et une miche de
pain gonflé rentre à peine à l'intérieur du four. Pourquoi avoir deux lavabos dans
la salle de bains si une personne maigre ne peut pas se déplacer facilement
dans la cuisine ?
Quelques fois, j’écoute une chanson de Fred
Astaire et je prétends que je suis une grande danseuse de claquettes ; d’autre
fois, je choisis « Non, je ne regrette rien » d’Edith Pilaf et je valse autour de
l’appartement – si j’ai un parquet boisé et de l’espace, pourquoi pas ?
Cependant, je préfère écouter la musique de la rue. Je laisse les grandes fenêtres
ouvertes tout le temps donc les murmures des gens qui passent, le va-et-vient
des motocyclettes, les accordéonistes et les guitaristes qui jouent en soirée –
ces sons flottent dans mon appartement et ils tombent doucement comme neige.
La lumière naturelle coule
à travers les fenêtres aussi. On ne peut pas trouver une horloge n’importe où –
je connais l’heure habituellement par la couleur de la lumière. Le matin, les
murs sont comme badigeonnés de beurre, un jaune pâle. À midi, j’habite dans une
jonquille. Quand je commence à penser à dîner, les murs sont orange vif comme le
jaune d'un œuf frais. À cause de la lumière merveilleusement envahissante, les fleurs
de toutes sortes peuvent s'épanouir tout au long de mes pièces. Durant le
printemps, les coquelicots se perchent joyeusement sur une corniche dans le
salon, les bégonias se reposent à côté d’un panier de fruits dans la cuisine. De
nuit, la fragrance du jardin pénètre mes rêves.
Je vivrais en paix complète si ce n’était que mes
deux cheminées qui se moquent de moi. Quelqu’un sera très content d’avoir une
cheminée mais, pour moi, c'est un rappel de la raison pour laquelle je vis
seule ici. La cheminée blanche et décorative se dresse avec suffisance dans le
coin du salon tandis que la cheminée en bois laid est située dans la
chambre pour me donner des cauchemars. J’ai amélioré ce problème en plaçant les
plantes en pot à l'intérieur.
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